Actualités / Fondateurs / Repreneurs : savoir passer le témoin

Fondateurs / Repreneurs : savoir passer le témoin

Dans les opérations de transmission d’entreprise, il est souvent demandé au fondateur-cédant d’accompagner la nouvelle équipe, voire de se réengager financièrement. L’entrepreneur est ainsi confronté à une situation nouvelle qui l’amène à repenser son rôle et son positionnement au sein de l’organisation.

Trouver le juste équilibre entre transmission d’expérience et respect de l’autonomie/autorité du repreneur, se réinventer dans un rôle où l’on passe de la prise de décision à l’incitation, de l’action à la supervision, continuer à trouver du plaisir dans une position plus distanciée qui n’est naturelle chez un entrepreneur, constater que le nouveau dirigeant peut commettre des erreurs et rencontrer des réussites en faisant autrement, résister à la critique pour saluer les succès : voilà qui constitue un exercice des plus délicats lorsque l’on a fondé et dirigé son entreprise avec des convictions fortes et des méthodes qui ont fait leurs preuves !

Dès lors, comment négocier au mieux le passage de témoin, cette étape clé de la transmission de l’entreprise ?

Pour éclairer cette question, nous avons choisi de faire dialoguer, dans cette nouvelle livraison de notre newsletter, les fondateurs et les repreneurs de KitU et Infraneo, deux de nos participations ayant fait l’objet d’une transmission sous la forme d’un MBI.

Bonne lecture !

Interview croisé - Retours d'expérience de KitU et Infraneo

Idriss Benslimane – Fondateur Infraneo (société d’ingénierie)
Bruce Xiste – Repreneur Infraneo
Stéphane Poppoff – Fondateur Groupe K France (kits d’aménagement de véhicules professionnels)
Pierre-Yves Buisson – Repreneur Groupe K France

1. Quel était le contexte de la cession de votre entreprise, et quelles étaient vos principales motivations pour cette opération ?

Stéphane Poppoff (fondateur du Groupe K)

Ma décision de transmettre l’entreprise reposait sur deux raisons majeures. Après avoir consacré 15 ans au développement du concept que j’avais créé, des problèmes de santé ne me permettaient plus d’investir toute l’énergie nécessaire pour assurer pleinement mes fonctions de dirigeant. Par ailleurs, il est essentiel de reconnaître ses propres limites. J’ai estimé qu’il était non seulement important, mais crucial, de passer le relais à un successeur capable d’activer nos leviers de croissance et d’assurer ainsi le développement et la pérennité du Groupe.

Pierre-Yves Buisson (repreneur du Groupe K)

De mon côté, après une carrière dans de grandes entreprises, je rêvais de pouvoir reprendre une entreprise à taille humaine pleine de potentiel. J’ai eu le plaisir de croiser Stéphane au moment où il réfléchissait à la cession de sa société, et le projet stratégique qu’il avait dessiné faisait sens pour moi. En effet, l’entreprise évolue dans le secteur de l’aménagement de véhicules utilitaires, un domaine offrant de nombreuses opportunités de développement, que ce soit par une expansion commerciale à l’international, le déploiement d’un réseau d’agences physiques ou une stratégie de croissance externe. Cela m’a immédiatement séduit.

Idriss Benslimane (fondateur d’Infraneo)

La transmission de l’entreprise était, dans mon cas, un projet préparé depuis plusieurs années. Dès 2015, soit 3 ans avant la cession, nous avons mis en place ce qu’il fallait pour préparer sereinement l’avenir. Il était essentiel d’assurer la pérennité de la société en la structurant et en trouvant un repreneur capable de poursuivre son développement tout en respectant son ADN. L’objectif était d’organiser la transition en amont afin d’impliquer progressivement les équipes et structurer un passage de relais efficace. À plus de 60 ans, cette entreprise représentait mon unique investissement, et l’intégralité de mon patrimoine. Il était donc naturel pour moi de passer le flambeau tout en restant actionnaire.

Bruce Xiste (repreneur d’Infraneo)

Lorsque j’ai rejoint le groupe en septembre 2018, la transmission était déjà préparée. Comme il l’indique, Idriss avait bien anticipé cette étape, convaincu que pour entrer dans une nouvelle phase de croissance, l’entreprise devait faire évoluer sa gouvernance. Le groupe opérait sur une niche spécifique en fournissant des services d’intégrité structurelle des réseaux d’assainissement et très vite, j’ai perçu le potentiel de la société et son intérêt stratégique. Le secteur de l’infrastructure m’était nouveau, mais j’ai pu mettre à profit mon expérience dans les services et la gestion de l’intégrité des infrastructures essentielles. Par ailleurs, passer du temps avec le fondateur m’a permis de mieux comprendre son histoire, sa vision et l’organisation de l’entreprise, ainsi que l’importance de ses services pour ses clients.

Sur le plan personnel, l’idée d’entreprendre m’habitait déjà l’esprit après plusieurs années en corporate. Cette opportunité n’était pas la première, mais cette fois-ci, je l’ai saisie.

2. Quelles étaient vos appréhensions et comment ont-elles influencé votre manière d’aborder cette transmission ?

Stéphane Poppoff

J’avais déjà été approché à plusieurs reprises par des investisseurs de qualité avant de vouloir passer la main. Toutefois, l’univers des cessions et transmissions d’entreprise était un sujet totalement inconnu pour moi. A ce titre, lorsque j’ai pris la décision de lancer ce processus je crois avoir pris la bonne décision en m’entourant de spécialistes dans ce domaine, aussi bien au niveau de la banque d’affaires qui m’a accompagné, qu’au niveau des auditeurs et avocats qui ont permis le bon déroulement de l’opération.

Pierre-Yves Buisson

Ma principale appréhension tenait à ma propre adaptation à un nouvel environnement. Stéphane a su dès le premier jour me céder sa place ce qui est inhabituel dans ce type d’opération. J’ai bien pris le temps d’écouter l’équipe pour comprendre la culture de l’entreprise et ai adapté mon comportement pour gagner sa confiance.

Idriss Benslimane

Si je devais en citer une, elle concernerait l’adhésion des équipes au changement de direction. Une transition mal gérée peut déstabiliser une entreprise, d’où l’importance d’un accompagnement sur plusieurs mois, avec en amont une implication des managers à chaque étape de la transmission : choix de la banque d’affaires, du nouveau dirigeant, du nouvel actionnaire, etc..

Il me fallait également trouver le bon équilibre entre la transmission de mon expérience et un retrait progressif. Cela étant, je n’ai pas eu de réelle appréhension grâce aux conseils et à l’accompagnement de la banque d’affaires qui nous a accompagnés.

Bruce Xiste

L’enjeu principal était de me faire accepter par les équipes. Arriver et remplacer un fondateur respecté est toujours un défi. J’ai donc adopté une approche d’apprentissage et d’observation avant d’apporter ma vision. L’objectif était de créer un climat de confiance en étant présent sur le terrain et à l’écoute des collaborateurs. Cela dit, je ne ressentais aucune appréhension majeure car le terrain avait bien été préparé par Idriss depuis plusieurs années.

3. Quel a été votre rôle après la réalisation de l’opération et comment vous y êtes-vous adapté ?

Stéphane Poppoff

Sachant que j’avais organisé mon départ en amont de la transmission, notamment avec mes principaux cadres qui disposaient déjà de beaucoup d’autonomie et qui connaissaient notre stratégie ainsi que les fondamentaux à respecter, mon rôle d’accompagnant auprès de mon successeur a principalement consisté à lui expliquer le marché qu’il abordait en écho à la pertinence de notre offre produits/services.

Pierre-Yves Buisson

Mon rôle a d’abord consisté à analyser les forces et faiblesses de l’entreprise, puis à poser une stratégie en accord avec Sparring et Stéphane, et enfin à consolider l’équipe.

J’ai bien sûr beaucoup questionné Stéphane sur sa compréhension du marché et sa façon de faire. Il a fallu faire le pont entre une centralisation des fonctions clés de l’entreprise vers une plus forte délégation des responsabilités.

Idriss Benslimane

Après la cession, j’ai volontairement et rapidement pris du recul pour permettre à Bruce de s’affirmer au sein des équipes. J’avais mis en place un contrat d’assistance pour accompagner la société et les nouveaux actionnaires sur une période de 3 ans, dont une première période de transition de 6 mois, et dont le principal mot d’ordre était ensuite d’intervenir uniquement lorsqu’on me sollicitait, et éviter toute ingérence dans l’opérationnel quotidien.

Je suis par ailleurs resté au conseil de surveillance du groupe, dans un rôle de conseil stratégique, afin d’apporter ma vision à long-terme sur le développement du groupe.

Bruce Xiste

Mon intégration s’est faite en deux étapes. D’abord, en tant que Directeur Exécutif pendant six mois, avec un lien direct avec tous les managers et un reporting au fondateur. Mon objectif était de bâtir des relations de confiance avec les équipes, des ingénieurs aux techniciens, tout en me familiarisant avec l’organisation. Lors de cette première phase, j’ai visité les agences, rencontré clients et concurrents, et même participé aux chantiers en me mettant dans la peau d’un stagiaire pour comprendre pleinement les opérations sur le terrain. Les échanges quotidiens avec Idriss Benslimane me permettaient d’explorer des idées de développement, d’évolution de l’organisation et de potentielles acquisitions. J’ai appris à utiliser ses outils de gestion, à rédiger des notes de service et à structurer l’entreprise avec les moyens existants.

Ensuite, à mesure que la transition avançait, nos interactions sont devenues moins fréquentes, notamment après la préparation du budget 2019. En janvier 2019, il a commencé à prendre du recul, et en mars 2019, j’ai pris la présidence, assurant ainsi la continuité et le développement de l’entreprise.

4. Comment le processus de transmission a-t-il affecté l’entreprise ?

Stéphane Poppoff

Un créateur-fondateur imprègne profondément son entreprise, et il est souvent difficile pour lui d’accepter une autre vision. Tant il maîtrise chaque aspect de l’organisation, de ses collaborateurs, au marché avec ses clients et partenaires en passant par ses fournisseurs. Toutefois, celui qui s’est battu pendant des années pour appliquer sa vision de dirigeant, doit accepter le fait que certaines choses vont changer avec l’arrivée de son successeur. Cela étant, j’étais là pour rappeler de temps à autre à Pierre-Yves que son arrivée devait se traduire par une évolution et non une révolution, notamment envers les équipes en place !

Pierre-Yves Buisson

L’entreprise et ses collaborateurs semblent avoir accepté le processus de transmission avec beaucoup de souplesse. Je n’avais pas mesuré la difficulté d’être à l’écoute de tous les actionnaires pour tenter d’en tirer un plan d’action qui soit en ligne avec la réalité du terrain. J’ai dû revoir mes priorités pour investir plus de temps et d’énergie dans la construction d’une bonne communication avec mes actionnaires.

Idriss Benslimane

Nous avions préparé cette cession sur les 3 ou 4 dernières années, avec des prises de décision, notamment au niveau de l’organisation, qui m’ont permis, en tant que fondateur, de ne plus être indispensable au dispositif. Tout avait été mis en place pour que cette transition se passe dans un vrai cadre de stabilité et de continuité, pour que la société ne soit pas impactée par une quelconque rupture brutale. Ce cheminement en amont, et l’implication forte des managers à mes côtés, ont permis d’éviter tout effet de surprise.

Bruce s’est par ailleurs très vite intégré au sein du groupe et des équipes, tout en bénéficiant de l’accompagnement d’un actionnaire financier de qualité pour structurer le groupe.

Bruce Xiste

Il n’y a pas eu de remous internes car j’avais déjà pris mes marques auprès des équipes. L’adaptation a été progressive, et la dynamique de développement du groupe s’est poursuivie sans heurts, aux côtés des nouveaux actionnaires.

5. D’un point de vue personnel et professionnel, comment avez-vous vécu ce processus de transmission ?

Stéphane Poppoff

Le processus de transmission/cession est un véritable marathon ! Pour ma part, la transmission a duré près de 24 mois, entre le moment où j’ai pris la décision de transmettre l’entreprise et le jour où j’ai installé mon successeur dans mon fauteuil ! A ce titre, il faut être bien préparé psychologiquement ainsi que physiquement, car les pourparlers avec les repreneurs potentiels, associés aux différents audits, sont des situations très énergivores. Il faut également être bien entouré pendant ce long processus pour ne pas lâcher prise devant les multiples points de tensions et de négociations avec les repreneurs qui n’étaient pas, tout comme le cédant que j’étais, ennemis de leurs intérêts.

Pierre-Yves Buisson

Le processus de transmission est forcément toujours trop long et incertain. Cela crée des tensions à bien des égards, pour soi comme pour son environnement proche. Je pense que la préparation et l’accompagnement sont essentiels pour le réussir correctement.

Idriss Benslimane

Ce genre d’opération est un vrai moment clé dans une carrière. Et, même si on s’y est préparé, passer le relais n’est jamais simple.

Dans mon cas, cela a été facilité par une préparation en amont et une vraie volonté de céder. Je m’y étais vraiment préparé et je n’avais absolument aucune appréhension à lâcher la barre. J’ai par ailleurs rapidement eu une connexion assez forte avec Bruce, qui s’est présenté comme un repreneur de grande qualité.

Aujourd’hui, du fait de ma passion pour ce métier et parce que j’avais fondé ce groupe, j’en suis encore, restant ainsi impliqué dans l’entreprise, tout en lui faisant bénéficier de mon savoir-faire sur ce métier.

Bruce Xiste

Le processus de transition est une étape clé dans la réussite d’une transmission d’entreprise. J’ai appris à faire preuve d’écoute, d’humilité et de patience. Le rapprochement avec les équipes opérationnelles a été essentiel pour gagner leur confiance et m’intégrer pleinement. Cette expérience m’a apporté une compréhension précieuse de la gestion humaine et de l’importance de l’adaptabilité, des enseignements que j’ai ensuite réutilisés dans d’autres transmissions d’entreprise.

6. Selon vous, quels sont les pièges à éviter et quel serait le positionnement idéal d’un fondateur lors de ce type d’opération ?

Stéphane Poppoff

Les pièges à éviter sont multiples, notamment si vous n’avez pas une équipe autour de vous qui ait la capacité de continuer à faire fonctionner l’entreprise pendant que vous serez accaparé par le processus de transmission/cession.  Ainsi, je donnerais 3 conseils majeurs à un cédant qui s’apprête à vivre cette expérience intense :

Tout d’abord, mûrir sa réflexion et être prêt à franchir le pas avec une détermination sans faille afin ne pas douter en cours de processus en étant bien conscient que cette décision sera lourde de sens pour l’entreprise ainsi que pour la suite de sa vie professionnelle et personnelle.

Ensuite, il est essentiel de s’entourer de professionnels spécialisés en transmission et cession d’entreprise. Les frais et honoraires de ces experts représentent un investissement conséquent, mais bien qu’ils ne garantissent pas toujours la réussite de l’opération, ils permettent d’optimiser la valorisation de l’entreprise et de conclure un accord « gagnant-gagnant » pour le cédant et le repreneur.

Enfin, il s’agit de trouver le repreneur, qui, parmi les multiples prétendants à la reprise qui lui seront présentés par sa banque d’affaires, ne s’intéresse pas qu’aux chiffres ou à la rentabilité mais qui a compris les forces et les atouts de l’entreprise, s’intéresse au marché qu’il aborde, aux profils des équipes en place, aux partenaires clients-fournisseurs ainsi qu’aux différents leviers de croissance dont l’entreprise dispose.

En synthèse, il n’y a pas de recette magique pour réaliser avec succès une transmission d’entreprise mais je continue de penser qu’une préparation optimale de son dossier, associée à un bon
« casting » d’intervenants, sont des critères à réunir pour mener à bien une telle opération dans les meilleures conditions.

Pierre-Yves Buisson

Concernant le positionnement d’un fondateur dans ce type d’opération, je pense que l’essentiel est de bien être préparé : avoir compris la dynamique d’une cession, les enjeux, les acteurs et être réellement prêt personnellement à céder en sachant laisser sa place le temps venu. Je pense qu’il serait intéressant pour un fonds d’investissement comme Sparring Capital de préparer les cédants, comme les repreneurs à jouer un nouveau rôle après la cession, peut-être à travers un coaching dédié.

Concernant le repreneur, je lui conseillerais de bien préparer les 100 premiers jours pour accueillir les points de vue, les habitudes, les situations avec beaucoup d’écoute et de ne pas juger trop vite.

Idriss Benslimane

Il faut anticiper et préparer l’entreprise à fonctionner sans son fondateur. La délégation et la mise en place d’un management intermédiaire sont essentielles. Enfin, le fondateur doit accepter de lâcher prise pour permettre au repreneur de trouver sa place. Dans ce cadre, il existe plusieurs pièges à éviter pour garantir une transmission réussie. Tout d’abord, la qualité du nouvel actionnaire est primordiale : il doit posséder une vraie vision stratégique et être un vrai support pour le groupe et le nouveau dirigeant.

Le choix du nouveau dirigeant est également un enjeu crucial, car ce dernier doit non seulement adhérer à la vision du fondateur, mais aussi être capable de fédérer les équipes, cette décision ayant un impact direct sur l’ensemble de l’organisation.

Un autre piège à éviter est l’attitude du fondateur après la transmission. Il ne doit ni se positionner en donneur de leçons ni imposer sa façon de faire, mais plutôt accompagner la transition avec bienveillance. De même, il est essentiel qu’il intervienne uniquement si son avis est sollicité, afin de ne pas freiner l’autonomie et la prise de décisions du nouveau dirigeant.

Enfin, choisir la bonne banque d’affaires est un facteur déterminant. Un accompagnement par des experts compétents permet de garantir une transaction fluide et réussie, en facilitant les aspects stratégiques et financiers de la transmission.

Bruce Xiste

Le successeur ne doit pas chercher à imposer trop rapidement sa vision. Avant toute transformation, il est essentiel de comprendre en profondeur l’entreprise, son fonctionnement et sa culture. La réussite d’une transmission repose sur une transition progressive, où chacun joue son rôle : le fondateur doit savoir se mettre en retrait de manière graduelle, tandis que le repreneur doit prendre le temps d’apprendre et de s’intégrer avant d’assumer pleinement ses responsabilités.

Dans une entreprise de services comme celle que j’ai rejointe en 2018, les équipes sont un élément clé. Il est donc crucial de bâtir une relation de confiance avec elles et avec le fondateur sortant, en leur montrant que l’évolution de l’entreprise bénéficiera à tous. Une fois ce climat de confiance établi, la transmission peut s’opérer de manière fluide et réussie.