Labels et certifications : pour y voir clair
La montée en puissance des enjeux ESG, et notamment environnementaux, s’accompagne de l’émergence de nombreux labels et certifications. Face à l’abondance et à la diversité des options disponibles, tant les entreprises que leurs actionnaires peuvent se sentir désorientés, alors que la performance ESG et sa mesure sont en passe de devenir un critère d’attractivité essentiel pour les parties prenantes de l’entreprise. Dès lors, il devient crucial de savoir naviguer au sein de ce maquis de labels thématiques ou sectoriels, qui poursuivent, chacun, des objectifs différents. En effet, leur profusion est source de confusion pour les entreprises et les investisseurs. Ainsi, les investisseurs semblent préférer se raccrocher aux cadres réglementaires français et européen quand les entreprises jonglent entre les différents labels et certification jungles. Par ailleurs, si ces démarches bénéficient d’un engouement certain, elles mobilisent des ressources financières et opérationnelles importantes pour que l’entreprise puisse obtenir et maintenir ces dites certifications. Au-delà des enjeux de complexité et de coûts, se pose la question de savoir si la labélisation apporte une mesure objective et pertinente du progrès accompli dans la transition vers un modèle de production et de consommation respectueux de l’environnement.
Afin d’apporter des éléments de réponse à ces questions et d’y voir plus clair sur les enjeux de la labellisation, nous avons choisi d’associer à cette newsletter, dans le cadre d’une interview croisée Mesdames Giorgia Davidovic et Charlotte Allard, respectivement Sustainability Manager chez Reporting 21 et Responsable Durabilité du groupe Sparring.
On observe une accélération dans les recours aux labels et aux certifications, tant au niveau des sociétés de gestion que des fonds ou des participations. Comment explique-t-on ce phénomène ? Est-ce la preuve d’une sincère volonté d’améliorer les pratiques ou le signe d’un besoin accru de lisibilité sur des pratiques en matière d’ESG qui sont aujourd’hui assez hétérogènes ?
Charlotte Allard
L’accélération du recours aux labels est avant tout la preuve d’une prise de conscience croissante des enjeux ESG, à tous les niveaux, que ce soit chez les investisseurs ou dans les entreprises de nos portefeuilles. Les investisseurs, les entreprises et le grand public sont de plus en plus conscients des risques associés aux pratiques non durables et cherchent activement des moyens de contribuer positivement. Le recours à un label ou une certification en est un.
L’utilisation de labels et de certifications permet d’améliorer les pratiques en incitant les entreprises à se conformer à des normes élevées en matière de durabilité et de responsabilité. Ces labels peuvent également renforcer la lisibilité et la transparence des entreprises sur leurs pratiques en matière d’ESG en dépassant le simple stade du déclaratif, et devenir un argument de poids dans la concrétisation de relations commerciales par exemple.
Cependant, il est essentiel de noter que l’utilisation croissante des labels ESG peut également présenter certains défis. Certains acteurs pourraient chercher à « greenwasher » leurs activités en utilisant des labels ESG sans réel engagement envers des pratiques durables. Par conséquent, il est crucial que les labels choisis soient rigoureux, transparents et vérifiables, afin d’être en mesure de distinguer les véritables initiatives durables des tentatives superficielles de marketing.
Giorgia Davidovic
L’accélération du recours aux labels (B Corp, Lucie, etc.), certifications (notamment ISO) mais aussi aux statuts (tels que Société à Mission et ESUS) est un phénomène qui se fait particulièrement remarquer dans l’univers « corporate » (des PME aux grands groupes côtés) depuis quelques années. Ce choix s’explique notamment par une volonté de mettre en avant les pratiques durables des entreprises auprès de leurs parties prenantes – employés, clients, investisseurs, société civile – qui valorisent de plus en plus les sujets ESG. En effet, la performance ESG des entreprises tend à devenir un critère de sélection et / ou d’exclusion pour les investisseurs et les consommateurs finaux, ou encore un facteur d’attraction des talents.
Les sociétés de gestion, quant à elles, ont plutôt tendance à se tourner vers la signature d’initiatives (France Invest, UNPRI, CDP, etc.) et surtout à prioriser la mise en conformité avec les règlementations françaises et européennes. On note que certains fonds, principalement côtés, ont recours à la labélisation, mais la proportion reste néanmoins faible comparée aux sociétés. La priorité donnée à l’alignement avec le cadre règlementaire plutôt qu’à la labélisation reflète le besoin des sociétés de gestion de s’accorder sur un référentiel commun à l’échelle de l’Union Européenne, afin d’harmoniser les pratiques en termes de suivi et de communication sur la performance ESG de leurs investissements.
Entre les labels généralistes, les labels thématiques ou sectoriels et les différentes certifications: comment faire le bon choix ? Quelle stratégie de sélection adopter dans un univers assez inégal en termes d’exigences (part verte, critères d’exclusion sectorielle, barèmes à points, etc.) ?
Charlotte Allard
Il existe en effet une multitude de labels et certifications, aux applications elles-aussi multiples. Certains sont généralistes (comme B corp par exemple) ou thématiques (Great place to work) mais ne s’appliquent qu’aux sociétés de gestion ou encore à leurs participations. D’autres en revanche ne couvrent que certains aspects spécifiques de l’ESG comme l’environnement, et ne s’appliquent qu’à un véhicule d’investissement comme le label Greenfin ou LuxFLAG Environment.
Avant de choisir un label ou une certification, il est donc essentiel de comprendre ses objectifs : quels sont les enjeux ESG qui nous tiennent le plus à cœur ? Quelles sont les thématiques ou les secteurs que nous souhaitons privilégier ? Le label choisi doit-il avoir une renommée internationale ? Répondre à ces questions permet de cibler les labels qui correspondent le mieux à ses priorités et qui s’alignent avec ses valeurs et objectifs spécifiques en matière d’ESG.
Si certains sont plus holistiques que d’autres, il faut néanmoins garder en mémoire que le label parfait n’existe pas. A défaut, le statut de Société à Mission introduit par la loi pacte de 2019 pourrait être considéré comme le label « ultime » pour certaines entreprises ou sociétés de gestion.
Giorgia Davidovic
La complexité croissante des sujets et la profusion des pratiques ESG portées par les sociétés ont en effet accéléré la création de labels et certifications sectoriels, thématiques et généralistes couvrant les enjeux ESG rencontrés par les entreprises. Par exemple, les entreprises luttant contre toutes formes de discrimination, notamment lors du recrutement, peuvent avoir recours au label Diversité. S’agissant de la chaîne d’approvisionnement, le label Relations Fournisseurs et Achats Responsables distingue les entreprises ayant une démarche d’achat alignée avec des critères ESG. Enfin, le label ISO 26030 offre un cadre de bonnes pratiques ESG tout au long de la chaîne alimentaire. Le niveau d’exigence et les critères de labélisation varient toutefois grandement d’un label à l’autre : certains sont davantage centrés sur les pratiques et des exigences de moyens (exemple : EcoVadis), tandis que d’autres sont basés sur des exigences de résultats (exemple : certifications Ecocert).
Du côté des sociétés de gestion, la labélisation est loin de devenir la norme et ce, malgré la multiplication des labels. En effet, en dehors de certaines classes d’actifs pour lesquelles des labels spécifiques existent, comme dans l’immobilier avec le label ISR, les sociétés de gestion privilégient largement l’alignement avec le cadre règlementaire.
Il revient alors à chaque entité de déterminer quel label est le plus à même de répondre à ses enjeux ESG, tout en prenant en compte les attentes des parties prenantes. Il est pertinent de considérer certains critères dans leur sélection, tels que la reconnaissance et la légitimité du label (notamment par son ancienneté), le périmètre adapté à son besoin et sa stratégie ESG, ainsi que l’indépendance de l’attribution du label et la régularité du suivi.
Face à la multiplicité des labels et à leur complexité de décryptage, est-ce que finalement le marché ne se raccroche-t-il pas plutôt au cadre règlementaire, comme en témoigne l’intérêt accru dans les levées pour les fonds relevant de l’article 8 et 9 ?
Charlotte Allard
La multiplicité des labels ESG à destination des fonds et leur complexité de décryptage peuvent créer une forme de confusion sur le marché. Dans ce contexte, les investisseurs et les gestionnaires pourraient se tourner vers le cadre réglementaire pour se repérer et identifier les produits financiers ESG qui répondraient à certains critères spécifiques de la règlementation.
L’intérêt accru pour les fonds relevant des articles 8 et 9 s’explique par le fait que ces produits sont plus facilement identifiables en tant que produits financiers durables, en particulier pour les fonds article 9 et les investisseurs semblent percevoir une forme de cohérence entre les objectifs ESG déclarés et les stratégies d’investissement mises en œuvre.
Cependant, la classification SFDR, parfois utilisée à tort comme un label, ne se base aujourd’hui que sur un principe de transparence déclaratif à la différence de certains labels qui font l’objet d’un processus de vérification très strict.
Il est important de noter également que les autres fonds et produits ne relevant pas des articles 8 et 9 ne sont pas nécessairement dépourvus d’approches ESG. Certains fonds peuvent choisir de ne pas s’inscrire dans ces catégories réglementaires pour diverses raisons, mais ils peuvent toujours mettre en œuvre des critères ESG dans leur processus d’investissement.
Finalement, les labels pourraient être un des moyens d’y voir plus clair, notamment pour les fonds articles 8 qui présentent des niveaux d’ambitions très hétérogènes.
Giorgia Davidovic
Pour une meilleure compréhension des grandes tendances du marché, il est important de distinguer les entreprises et les sociétés de gestion. La règlementation européenne pour les entreprises – actuellement NFDR et prochainement CSRD– ne concerne qu’une portion relativement faible du marché (10 000 entreprises sous la NFDR et 50 000 sous la CSRD) car son caractère obligatoire varie selon plusieurs paramètres, tels que la taille et le chiffre d’affaires. De plus, elle ne constitue qu’une obligation de publication et non pas une mise en conformité des pratiques ESG. Ainsi, les entreprises cherchent à se différencier et à mettre en avant leurs initiatives ESG grâce à l’obtention de labels et certifications, notamment sectoriels et thématiques.
De leur côté, les sociétés de gestion priorisent effectivement la conformité au cadre règlementaire français et européen, notamment par la classification SFDR de leurs fonds, qui leur permet d’acquérir une certaine légitimité et une reconnaissance de leur maturité sur les sujets ESG. La classification SFDR est souvent considérée comme un label « par proxy » par les investisseurs, bien qu’elle n’en soit pas une en pratique. Ainsi, la prévalence de la mise en conformité avec la règlementation affaiblit le rôle et l’usage des labels dans le domaine financier.
Les labels de la finance verte peuvent-ils être un moyen de se prémunir contre le risque de greenwashing ?
Charlotte Allard
Oui, les labels de la finance verte peuvent être un moyen efficace de se prémunir contre le risque de greenwashing, mais à condition qu’ils soient fondés sur des normes strictes et des critères bien définis, qu’ils fassent l’objet d’un processus de vérification indépendant par des tiers neutres et qualifiés et qu’ils soient transparents dans leur processus d’attribution.
Ils contribuent ainsi à donner aux investisseurs et aux parties prenantes une plus grande confiance dans les initiatives et les produits réellement durables. Les investisseurs et les parties prenantes doivent donc être attentifs à la réputation et à la reconnaissance des labels auxquels ils se fient.
Coté épargnant, l’enquête menée par OpinionWay pour l’AMF « Les Français et les placements responsables » dont les résultats ont été publiés en juillet 2023 montre que les épargnants français plébiscitent l’investissement durable. Mais si la majorité se dit intéressée, ils peinent encore à se lancer, face à la complexité des concepts de la finance durable jugés trop « jargonneux » et à la crainte que cette complexité ne cache un risque de greenwashing. Le label ISR et le label Greenfin demeurent d’ailleurs très peu connus du grand public (69% des Français n’en connaissant aucun des deux).
Giorgia Davidovic
Les labels de la finance durable sont aujourd’hui encore peu exploités, et les critères de labélisation qui en découlent étant peu contraignants et faiblement contrôlés, ils ne sont pas toujours efficaces pour prémunir contre les risques de greenwashing. Des dénonciations publiques dans les médias et des publications d’études affirment ainsi qu’un certain nombre de fonds certifiés ne respectent pas les critères d’éligibilité de labélisation, notamment en investissant dans des entreprises directement liées à l’exploitation d’énergies fossiles ou de l’aviation. Par ailleurs, les labels de finance durable étant récents et relativement peu matures, ils peuvent donner lieu à des zones de flou règlementaire. Il est donc nécessaire de rester vigilant quant aux labels de finance durable, qui ne permettent pas toujours d’apporter des garanties suffisantes sur le respect des critères ESG de ces investissements.
Les processus de labellisation et de certification, qui requièrent des ressources humaines et financières importantes, ne risquent-ils pas de favoriser les grandes sociétés de gestion au détriment des plus petites ?
Charlotte Allard
Oui, il est vrai que les processus de labellisation et de certification peuvent exiger des ressources humaines et financières importantes, ce qui peut potentiellement favoriser les grandes sociétés de gestion au détriment des plus petites. Et ce, pour plusieurs raisons :
Les coûts parfois élevés associés à la demande et au maintien d’un label (recertifications régulières etc.). Les frais d’audit, de vérification et de suivi peuvent être importants, rendant difficile pour les petites entreprises d’accéder à ces labels.
Les processus de labellisation et de certification peuvent être complexes et mobiliser beaucoup de ressources humaines pour collecter, analyser et rapporter les données nécessaires. Les sociétés de gestion qui bénéficient d’équipes dédiées à l’ESG, pourraient être dans une position plus favorable pour mener à bien ces projets.
Pour remédier à ces inégalités, certains organismes de labellisation et de certification ont pris en compte ces éléments et ont rendu leurs processus de labellisation plus accessibles et proportionnés, que ce soit en termes de coûts, de quantités de données à fournir ou de procédures simplifiées, à destination des plus petites entreprises.
Il ne faut également pas hésiter à se faire accompagner lorsque c’est possible par des consultants dont l’expertise permet de gagner beaucoup de temps et de limiter le coté chronophage pour les équipes et les erreurs éventuelles.
Giorgia Davidovic
Comme mentionné précédemment, la tendance générale du marché financier n’est pas à la labélisation : les investisseurs institutionnels priorisent la classification de leurs fonds selon la règlementation SFDR et les sociétés de gestion se concentrent sur la mise en place de bonnes pratiques ESG, liées aux critères de sélection des investissements, listes d’exclusion et méthodologies ainsi qu’à la prise en compte des risques et opportunités ESG. De ce fait, les petites sociétés de gestion ne sont pas forcément pénalisées. Le principal frein qu’elle rencontrent est l’absence de compétences et formations internes nécessaires à la compréhension et l’implémentation d’une règlementation complexe et en perpétuelle évolution.