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Marque employeur, enjeu stratégique pour les PME

232.000 : c’est le nombre de personnes que les sociétés d’ingénierie et de conseil en technologie (ICT) et les entreprises de services numériques (ESN) françaises devront recruter ces dix prochaines années (source : Katalyse et D&Consultants). Un chiffre élevé puisqu’elles emploient aujourd’hui environ 330.000 salariés. C’est dire que le recrutement va rester un enjeu majeur pour ces sociétés de services, notamment pour de nombreuses PME en compétition avec les mastodontes du secteur, voire avec leurs donneurs d’ordres.

Dotées de moyens bien plus réduits, elles doivent rivaliser d’imagination pour attirer les talents et faire valoir leurs atouts : diversification du sourcing, package financier sur mesure et travail en profondeur sur leur attractivité pour « parler » aux recrues potentielles. L’amélioration de la « marque employeur » devient alors un enjeu perçu comme stratégique. Simple effet de mode qui conduit à une surenchère mode « calinothérapie » de la part des employeurs ou mouvement de fond pour répondre à une transformation radicale du rapport à l’entreprise, accélérée par les nouvelles technologies ? Pour approfondir le sujet, nous ouvrons notre newsletter de printemps à Thomas Chardin. Il dirige l’agence « Parlons RH » (www.parlonsrh.com) et intervient auprès de nombreuses entreprises sur leurs problématiques RH.

Bonne lecture !

L’équipe Sparring Capital

Interview marque employeur : Parlons RH

Thomas Chardin, Dirigeant fondateur de Parlons RH

1. Comment définissez-vous le concept de « marque employeur » ? D’où vient-il ?

La marque employeur, c’est le bifidus actif de votre business : ce qu’elle fait à l’intérieur se voit à l’extérieur. Les attributs internes de l’entreprise facteurs de fidélisation et d’engagement — un bon management, un projet audacieux, une vision ambitieuse, une vocation environnementale — suscitent l’intérêt de potentiels nouveaux collaborateurs.

Je dirai que c’est une marque appliquée à la RH. Car, quel que soit la taille de l’entreprise — de la TPE au grand groupe, en passant bien évidemment par les PME et les ETI — l’entreprise ne fait pas qu’employer au sens strict :

  • elle recrute ;
  • elle intègre ;
  • elle accompagne et elle forme ;
  • elle collecte (je pense là aux cotisations sociales et aux impôts) ;
  • elle s’inscrit dans un bassin d’emploi et dans un territoire ;
  • elle a une responsabilité sociale, environnementale et sociétale.

Elle joue donc différents rôles d’employeur, auprès de différents publics. Elle s’adresse bien évidemment aux candidats, mais également, tous les jours, aux collaborateurs déjà en poste.

Le concept de « marque employeur » n’est pas nouveau. Ces 2 mots sont la traduction d’employer brand, un concept américain apparu il y a presque 30 ans. À la fin des années 90, le concept éveille en France un vif intérêt chez certains professionnels de la communication de recrutement. Précurseur, Didier Pitelet dépose l’expression « marque employeur » en 1998.

La guerre des talents qui ne fait que s’amorcer en France renforce son intérêt de la part de toutes les entreprises.

2. Y a-t-il des particularités selon la taille des entreprises, et ce concept s’applique-t-il d’ailleurs aux PME ?

La marque employeur, toutes les entreprises, en ont une, à partir du moment où l’entreprise emploie au moins un salarié. Nous avons des clients qui ont entre 20 salariés et 50 000 salariés. En fonction des organisations, la marque employeur est plus ou moins conscientisée, formalisée, structurée, partagée, performante. Les particularités ne sont d’ailleurs pas uniquement liées à la taille, mais à d’autres critères comme le secteur d’activité, les métiers proposés, l’implantation territoriale, la structurelle organisationnelle (siège, établissements, réseaux), et surtout la dynamique de croissance.

La marque employeur est une affaire de sens et de bon sens, de vision cible ambitieuse et d’actions simples au quotidien. Elle ne requiert pas des moyens pléthoriques.

Quelle que soit la taille de l’entreprise, les dirigeants doivent répondre simplement à trois questions :

  • Pourquoi je vous rejoindrais en tant que salarié ? C’est l’attractivité de l’entreprise.
  • Pourquoi je resterais chez vous ? C’est la fidélisation de ses talents.
  • Pourquoi j’y serais investi ? C’est l’engagement au sens de l’implication active.

La force d’une marque employeur provient donc de la cohérence des réponses à ces trois questions, de la simplicité dans leur expression et de leur authenticité.

Une bonne marque employeur peut se vivre par un ensemble de petits détails, par des gestes simples, qui ne sont pas réservés aux grandes entreprises : recevoir convenablement un candidat, accueillir avec convivialité, intégrer un nouveau collègue, expliquer le projet et la dynamique de l’entreprise, savoir écouter sincèrement un salarié, reconnaître les bons résultats et les progrès individuels et collectifs, savoir féliciter et bien sûr expliquer aussi ce qui ne va pas.

C’est le B.A.-BA du management. Cela ne demande que deux choses : un peu de volonté et un peu de temps. On est très loin des campagnes de publicité RH à plusieurs centaines de k€.

Donc oui, les PME peuvent sans problème développer leur bifidus actif !

3. Quels sont les bénéfices qu’une PME peut attendre d’une telle démarche ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?

II y a quatre bénéfices à attendre d’une marque employeur efficace :

  • Développer votre notoriété employeur
  • Attirer les talents escomptés
  • Fidéliser les talents souhaités
  • Engager les collaborateurs et plus largement le management

Quelques chiffres attestent ces affirmations : soigner sa marque employeur permet de réduire jusqu’à 28 % le turnover et amène une diminution des coûts de recrutement jusqu’à 50 %. C’est ce que l’étude de 2011 « What’s the Value of Your Employment Brand ? » de Eda Gultekin, révèle.

Quelques années auparavant en 2003, Fulmer et al. montre que les entreprises du Top 100 du baromètre « Great Place to Work » publié tous les ans par le magazine Fortune ont une performance financière supérieure à celle des entreprises qui ne figurent pas dans ce classement. D’autres études[1] vont dans le même sens.

Mais restons pragmatiques, dans le cadre de PME, dans le contexte actuel de pénurie de talents, le bénéfice principal d’une marque employeur n’est peut-être pas là… Elle permet tout simplement d’assurer la croissance de votre entreprise. En 2019, sans capital humain, point de business.

4. Comment se construit une démarche « marque employeur » et qui doit porter le projet à l’intérieur de l’entreprise ?

Selon moi, la marque employeur doit être portée par le DRH ou le DG quand il n’y a pas de DRH. C’est un sujet stratégique qui engage l’entreprise. Et elle va avoir un impact direct sur les politiques RH à décliner et à déployer.

Il y a 4 grandes étapes dans une démarche de marque employeur.

Phase 1 : le diagnostic de Marque Employeur

Ce diagnostic est un vrai audit marketing RH, une photo de l’existant en matière d’image, d’identité et de pratique employeur. Étape indispensable, elle permet de comprendre où en est l’entreprise à un instant T. Elle s’articule autour d’une phase interne puis externe :

La phase interne porte à la fois sur une analyse des datas RH — turn-over, absentéisme… — et des processus RH et comp&ben en place et sur la réalisation d’entretiens qualitatifs ou des ateliers collectifs avec les hommes et femmes de l’entreprise.

Toutes les catégories de l’entreprise sont interviewés : les professionnels RH – pour mieux appréhender les pratiques RH -, les membres du Codir — pour recueillir les enjeux business, le positionnement de l’entreprise, le projet RH, leur vision —, les managers — pour saisir leur vision de l’entreprise, son projet, ses valeurs —, un panel de salariés pour collecter, le contexte managérial, la perception des pratiques RH, les valeurs —.

Enfin un focus sera réalisé en direction des candidats qui n’ont pas accepté une proposition d’embauche, et les collaborateurs démissionnaires regrettés par l’entreprise, afin d’objectiver les raisons de leurs départs.

C’est différentes rencontres peuvent s’appuyer sur des enquêtes ou des baromètres mesurant le climat social et l’engagement, du type Gallup, Great Place To Work, top Employers, et aussi OpinionWay.

La phase externe du diagnostic s’appuie sur un benchmark concurrentiel de la Marque Employeur de 3 ou 4 principaux concurrents. Il consiste à étudier leurs promesses RH et leurs axes différenciants ainsi que leurs politiques RH visibles.

Un audit d’e-réputation employeur complète ce diagnostic externe. L’expérience candidat sur le site carrière, et la prise de parole de l’entreprise sur les réseaux sociaux sont analysées avec un focus sur les avis présents sur les sites de notations —Glassdoor, Viadeo, Indeed, ChooseMyCompany…

Phase 2 : la construction de la plateforme de Marque Employeur

Lors de cette phase, il s’agit de construire la vision cible de la marque employeur. Elle est construite dans le respect du continuum stratégique entre le business et les RH. En accompagnement du projet d’entreprise, il s’agit de projeter la Marque Employeur à deux, trois voire quatre ans. C’est donc une approche dynamique.

Concrètement la Marque Employeur doit se traduire par une promesse RH, des bénéfices différenciants pour des clients cibles identifiés, puis être étayée par des services RH concrets, tangibles et mesurables.

Le facteur clé de réussite de la construction de cette plateforme passe par itérations successives avec l’équipe RH et les collaborateurs. C’est du temps, en effet, mais ce processus permet d’en gagner énormément dans l’appropriation par les équipes de celle-ci une fois validée.

Phase 3 : le plan d’action

Cette phase consiste à passer de la photo de l’existant — le diagnostic —, à la photo de la cible — la plateforme de Marque Employeur.

Dans un premier temps, afin d’identifier la vingtaine de chantiers possibles tant internes qu’externes, il s’agit de superposer la situation d’aujourd’hui et la cible future pour mettre en exergue les pratiques RH manquantes.

Par exemple :

  • un site carrière refondue pour mieux coller à la promesse Employeur,
  • un vrai programme de cooptation fédérateur et incitatif,
  • une rationalisation du recours aux cabinets de recrutement,
  • une présence digitale sur LinkedIn et Facebook plus modernes,
  • Une démarche fédératrice d’employee advocacy pour porter la marque
  • un processus d’évaluation, s’insérant dans une démarche de progrès,
  • un programme pédagogique, centré soft skils, dédié aux managers,

Dans un second temps leurs priorisations seront réalisées selon un scoring adapté.

La liste obtenue constitue alors le schéma directeur des politiques RH planifié à court, moyen et long terme, en lien avec la Marque Employeur.

Phase 4 : le déploiement

Enfin, la quatrième et dernière phase correspond, quant à elle, à la mise en œuvre des chantiers priorisés et des actions planifiées. C’est à ce moment-là que tout commence et que l’entreprise pourra par la suite mesurer le chemin parcouru !

5. Si je vous suis bien, la démarche « marque employeur » rejoint la réflexion stratégique de l’entreprise…

Exactement. La marque employeur est un sujet stratégique au sens où cela engage le long terme. Ce n’est pas court-termiste et ponctuel, cosmétique ou tactique.

La marque employeur traduit une ambition humaine même si sa finalité est au service de la stratégie business de l’entreprise et de la performance globale.

Elle doit donc s’inscrire dans la vision et la mission de l’entreprise.

Si vous voulez que votre projet de marque employeur produise des résultats, c’est à ce niveau qu’il faut le positionner.

6. Quels sont les facteurs clés pour maximiser les chances de succès d’une telle démarche ?

J’en distingue 4 :

En premier, s’appuyer sur des éléments distinctifs, pertinents et authentiques

Dans une entreprise si vous mettez en exergue la formation légale ou les avantages du CE comme éléments différenciants vous ne risquez pas d’attirer grand monde. Donc distinctifs, c’est se différencier de la concurrence.

Pertinents : votre marque employeur s’adresse à une cible de collaborateurs de candidats précise. Quels sont leurs attentes, les frustrations, leurs besoins ? La rémunération est-elle un atout ? Les conditions matérielles de travail ? Le sens et les valeurs ?

Authentiques : que cela soit vrai et vérifié, avec des preuves factuelles et tangibles à l’appui.

En deuxième, s’appuyer sur une démarche structurée

Sauf dans une approche cosmétique et de court-terme, la démarche de Marque Employeur se doit d’être méthodique, organisée et planifiée, et non des actions ponctuelles, opportunistes et décousues.

En troisième, considérer le bifidus, même si votre besoin concerne le recrutement

J’insiste ; il est important, pour la crédibilité et la pérennité de la démarche, qu’il y ait une cohérence entre ce qui se dit à l’extérieur et ce qui se vit à l’intérieur.

Enfin, en quatrième, viser avant de tirer

Repérer et connaitre ses cibles : il ne faut pas mettre la charrue de la communication avant les bœufs du marketing qui requiert une démarche plus analytique.

7. Et les pièges à éviter ?

Aux risques de me répéter :

  • Ne pas impliquer le management et les collaborateurs.
  • Construire une démarche autour d’une seule catégorie de collaborateur
  • Limiter la démarche à la « marque recruteur »
  • Être en surpromesse de communication
  • Confondre marketing et communication

8. Comment s’assurer de la bonne diffusion de la marque employeur à toute l’organisation, notamment lorsqu’il y a des opérations de croissance externe ?

C’est une vraie difficulté et un vrai sujet. Le vecteur de diffusion principale est le management. Le manager est au cœur du dispositif, il est le pilier qui doit rendre possible le triptyque « confiance, reconnaissance, engagement ». C’est un élément nécessaire, mais non suffisant. Dans une logique de croissance externe, je dirais que les actions d’employee advocay peuvent jouer un rôle facilitateur. On constate ici que la marque employeur doit être portée par toutes les parties prenantes. Le succès est une question de dosage.

Plus la marque employeur sera forte, bien pensée, « profonde » au sein de l’organisation en croissance, formalisée et partagée, plus elle se diffusera rapidement à l’autre entité. Mais il peut aussi avoir fusion des deux marques employeur.

9. Mais… tout cela a un coût ?

Il y a évidemment un coût qui dépend de chaque entreprise et de chaque projet. Pour une démarche complète, il faut compter entre 30 et 40 k€ soit 6 mois de salaire d’un seul cadre difficile à recruter.

Il y a surtout un risque à ne pas prendre au sérieux ce sujet RH : celui de la moindre croissance de votre activité. Je le redis : sans capital humain, point de business.

Thomas Chardin, Dirigeant fondateur de Parlons RH.

Parlons RH est l’agence leader en marketing éditorial et digital dédiée aux DRH et à leurs partenaires (prestataires RH, cabinets de recrutement et de conseil RH, éditeurs de SIRH, start-up RH, etc.).

Nous permettons à ces acteurs d’optimiser l’intégration des médias sociaux dans leur stratégie marketing (marque corporate, marque business, marque employeur).

Nous améliorons la visibilité et l’image de leur offre RH dans les différents domaines des Ressources Humaines et du management : recrutement, expérience collaboratrice, formation, évaluation, rémunération, mobilité, paie, coaching, communication RH.

Parlons RH connaît une formidable croissance comme en témoignent le dynamisme de sa communauté de plus de 100 000 professionnels RH et le succès grandissant de son blog devenu en quelques années une référence sur le marché RH avec 1,5 million de pages vues par an.

[1] Les conclusions des travaux de Mandhanya et Shah (2010) montrent que la Marque Employeur a aussi un impact sur la valeur pour l’actionnaire. Selon DANIEL M. CABLE et DANIEL B. TURBAN en 2003 dans leurs publications The value of organizational reputation in the recruitment context : a brand equity perspective une bonne marque employeur peut même constituer un élément de modération de la rémunération.